TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BLUES OF TEL-AVIV

1. "Au premier temps de la valse
Je suis seul…"

À vingt ans, j'avais passé quelques jours à Tel-Aviv. Premier séjour, simples flashes: crépuscule sur la plage, éclat d'un seau de zinc martelé par un artisan, et c'est tout. Pas une seule photo. Rien donc de la ville réellement. Encore prisonnier de ma ville natale je ne pouvais pas appartenir à une autre.

M. m'avait concédé une simple passade avec Yeroushalaïm, et comme chaque fois, il avait fallu que je m'arrache. J'ai attendu trop longtemps pour revenir. Vingt ans plus tard, restaurée, la vieille ville ne me fait plus illusion. Je suis déçu par ses échoppes de souvenirs, d'articles pieux, de faux tapis anciens. Je ne me retrouve pas dans son toc propret et ses quartiers rénovés. Elle est morte celle que j'avais connue, il n'y a pas eu l'amour.

Mais à Tel-Aviv un ami m'invitait et je logerai chez lui : ne pas coucher à l'hôtel, me laisser croire que je ne suis plus tout à fait un touriste, je n'attendais que cela. Et voilà qu'après vingt ans d'éclipse, je découvre une ville trépidante, sauvage, rude et vivante, qui me prend aux tripes. Enrichi de Paris, Pékin, New York et Montréal que je porte en moi, je suis prêt à accepter qu'enfin l'histoire d'une ville se mêle à ma propre histoire.

Je suis revenu à Tel-Aviv, où j'ai pu m'installer un peu, et j'ai tenté d'approcher l'espace de ses rues, de ses places, de ses cafés, de ses commerces. J'ai senti de suite qu'elle était restée, malgré les années, la promesse d'un amour potentiel. Je l'ai regardée alors, cette nouvelle ville-femme, sans savoir comment la séduire, parcourant jour après jour de nouveaux itinéraires de hasard. Je me suis jeté sur elle, avec voracité, comme je n'avais pas le droit de le faire jadis sur mon gâteau d'anniversaire. Mais ce dessert, non partagé et consommé dans la solitude m'est, en quelque sorte, resté sur le coeur.

Tel-Aviv de la solitude et de l'attente m'a livré des images à foison, multiples, riches, savoureuses peut-être, mais sans piment, sans sel, sans élan vrai des sens. Tel-Aviv m'a enivré sans doute, mais je suis reparti, imparfaitement satisfait d'un rendez-vous raté, déçu et frustré, inspiré sans doute pour des peintures futures, mais trop peu amoureux pour avoir envie de revenir. Je gardais cependant en moi le sentiment diffus que nous ne nous étions pas tout dit et qu'il pourrait nous être donné, un jour mais plus tard, de renouer, de nous retrouver, de poursuivre ce qui n'avait pas su se faire. Sans savoir quoi, sans savoir comment, sans savoir quand. Tel-Aviv était donc mon amour en gestation. Elle attendait seulement une jeune fille, pour que je la rencontre, et qu'elle change encore une fois ma vie, à tout jamais.

Je ne le savais pas encore.

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