TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BLUES OF TEL-AVIV

2. "Au deuxième temps de la valse
On est deux…"

C'est donc sans le savoir que je me suis rendu à Tel-Aviv, deux ans plus tard, au courant de l'été, appelé pour un travail de deux semaines. Je n'attendais rien de ce rendez-vous, et j'y suis allé sans appréhension, sans espoir, simplement curieux. Séjourner dans une ville déjà me plaît, y travailler est un festin qui se déguste.

Je peux enfin devenir de la ville, un parmi les hommes, même pour si peu de temps. Je tisse à la hâte le rituel de mon quotidien : transports, promenades, cafés, repas, tout est prétexte à me fondre dans la cité. Enfin nous allons nous entrelacer, lentement, intensément, à chaque moment du jour et de la nuit. En amant je la courtiserai. En citadin je l'occupe.

Nous sommes tous deux, assis dans la douceur du matin, devant un verre de café et une pâtisserie. C'est encore le temps d'avant la chaleur du jour qui écrase et que je redoute. Mon réveil est resté ailleurs, je n'en ai pas l'utilité ici où je me lève tôt. Je ne me reconnais même plus, je suis lézard. À peine sorti du sommeil déjà je suis ivre d'elle. Autour de nous, des hommes et des femmes parlent une langue que je ne comprends pas mais dont les sonorités me sont familières. Les plus vieux parlent aussi le yiddish ou l'allemand. Les femmes fument des cigarettes. Elles ont les cheveux colorés. Les hommes ont des chemises couleur d'ivoire et de nacre, au col ouvert. Je regarde : la rue et le soleil qui se lève, je sais déjà qu'il va faire très chaud. Je regarde aussi le mouvement de ceux qui entrent et sortent, rapidement, appelés en des lieux que j'ignore. Je n'arrive pas à imaginer leur vie, je veux seulement la sentir. Si je ne parle pas, je ne suis pas si différent d'eux. Je porte seulement un pantalon de soie de Pékin. Je pars au travail moi aussi. Je suis un peu pressé. Je suis heureux : j'ai revêtu ma peau de citadin. Exuvie. Métamorphose.

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