TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.
BANDERILLAS
Usage : on les plante dans le garrot du taureau, au deuxième acte de la corrida. Elles doivent être placées tout en haut et l'une près de l'autre.
La jeune fille ingénieuse, trompe la surveillance de ses parents, et trouve prétexte pour qu'ils soient tous les deux seulement, une après-midi entière. Pendant cette après-midi, de mille façon, comme une guêpe, l'homme l'a poursuivie de son ardeur. Tournant autour d'elle, en cercles de plus en plus resserrés, il l'a aiguillonnée. Et elle, harassée, traquée, elle n'en peut plus de tant avoir cherché à résister. Il lui faut céder.
Alors c'est un immense soulagement. Cet homme, qui depuis le midi la pique, la provoque, l'attise, c'est exaspérant et délicieux à la fois. Chaque fois qu'il l'approche, elle sait qu'il faut qu'elle s'éloigne. C'est la morale -sa mère lui a bien appris ce que les hommes veulent- et elle n'en veut plus. Qu'il cesse de la harceler, qu'il achève de tourner autour d'elle avec sa voix, son corps, ses mains . Qu'il en finisse de l'aiguiser. Qu'il vienne donc et qu'il soit sa paix.
Elle sait ce qu'il veut, et c'est justement cela qu'elle veut aussi, maintenant qu'elle ose se l'avouer. Elle le supplie intérieurement d'en finir. Non, elle a de nouveau peur. Elle dit non, mais son corps tout entier crie le contraire. Elle dit non, encore une fois. Non, parce que ce qui va venir, elle sait que ce n'est pas pour elle. Elle n'a pas droit au désir de l'homme qui va faire d'elle une femme. Elle n'y a pas droit. Cela n'est pas de son âge. Pour elle, c'est interdit.
Et le pire, c'est quand il s'éloigne, fâché. Elle voit qu'il est fâché, elle sait pourquoi. C'est à cause de son esquive. Elle voudrait lui dire qu'il se trompe, qu'elle le désire aussi. Mais elle n'a ni les mots ni les gestes pour le dire, alors simplement, elle se rapproche de lui. Dans chacune des passes qu'il fait, elle se rapproche encore. Dire non avec le corps, elle ne le peut plus, alors elle le dit avec les lèvres. Et lui, mais pourquoi la croit-elle. Elle est fâchée aussi de cela : qu'il la croit et en même temps elle lui rend grâce.
Elle le découvre avec ses nouveaux yeux d'amante : il est là, planté devant elle, reins arqués dans son costume de lumière. Elle a compris le jeu qui sans se dire, est en train de devenir le leur. Son toréador retient encore le sang qui va couler derrière la muléta. Elle sait qu'il y a l'épée pour la mise amour. Elle sait et elle a peur. Elle le désire et elle a peur. Le silence qui s'est fait autour d'eux est aussi le silence de l'arène. Pourtant elle a envie de crier. Là, quand il a posé ses lèvres sur son cou, c'était délicieusement lancinant. Tout est permis maintenant que le soleil a tourné.
L'arène est coupée en deux par la lumière. La partie protégée par la projection du mur arrondi des gradins est une place plus fraîche. C'est là, en fin de journée, le moment fatal. Dans le silence, les deux qui se sont cherchés vont se trouver. Ils se regardent, se scrutent encore. Mais ils se sont entièrement devinés. Elle le regarde, farouche, et le trouve si resplendissant qu'elle ferme les yeux pour conserver toujours cette image de lui. Elle veut que sa lumière l'aveugle l'allume la consume.
Son ignorance, la honte de sa virginité, elle veut qu'il y mette fin. Dans la peur de la douleur. Et aussi à ça qu'elle nomme des ersatz, qu'elle avait acceptés dans ses jeux d'adolescente. Et elle veut devenir femme, avec lui par lui de lui.
Oui elle se prépare, si loin de lui et en même temps si proche. Dans ses nuits solitaires elle le rêve. Il est en train de la peindre. C'est elle seule qui l'inspire. Il ne voit plus qu'elle, ne pense plus qu'elle. Elle devient sa ville-femme, son manque.
Alors elle prend son violon pour lui seul et le place contre son cou, là où il laisse une trace, on dirait un suçon. Pour celui qui n'est pas là, elle prend son archet. Pour lui seul elle accorde l'instrument qu'elle a sorti de son étui en le caressant. Et comme la première fois -où dans l'encadrement de la porte sur la terrasse de la maison de Tel-Aviv , elle portait une jupe longue et noire qui couvrait ses genoux- elle voudrait jouer pour lui, mais cette fois pour lui seul. Ses cheveux coulent sur sa peau et elle est nue pour l'homme qu'elle aime. Il n'est pas là. Elle peut s'apprivoiser à son regard, se voir réellement pour la première fois. Son corps s'anime, il lui manque.
La jeune fille commence à jouer . A partir de cet instant, sa musique ne sera plus jamais de la même veine.
© Pierre-Pascal FURTH all rights reserved
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