TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BONHEUR ÉPHÉMÈRE

Au retour, il avait connu des semaines d'euphorie.

L'amour de la jeune fille est une certitude. L'amour pour la demoiselle un secret. Certitude et secret avec état de grâce auprès des parents. Le père l'appelle. Leur amitié par le travail en commun s'en est trouvé renforcée. La mère l'invite, qui ne cesse de parler de sa fille, d'en faire l'éloge, de la glorifier. La mère lui fait l'aveu de l'amant de sa jeunesse qui était plus vieux qu'elle, du poids de l'Allemagne et de la guerre. Elle ne peut s'alléger de la honte du crime dont elle est héritière : jamais elle n'avait pu demander aux vieux, dont elle s'occupait en Israël, de prendre une douche. Elle lui demande de comprendre à demi-mot qu'elle, l'Allemande, ne pouvait pas prononcer le mot douche devant des Juifs, à cause des chambres à gaz. C'est moins lourd à porter quand elle peut se confier à lui. Et toujours sa fille prodige au détour d'une phrase, comme une provocation. Aussi le chausse-pied qu'elle lui offre. Il dit : "C'est pour que je trouve chaussure à mon pied". Elle n'a pas compris la portée de son geste.

Ainsi il avait été invité dans la maison de famille à V.. Repas. Et puis, la mère l'invite à voir la pièce où dormait la demoiselle. Son lit de jeune fille, les étagères avec les livres d'enfant, des dessins au mur, une lanterne pour la Saint-Nicolas, et même sur une petite console ses affaires de toilette, comme si elle vivait encore ici. Il avait le sentiment d'un univers révélé par effraction. La demoiselle est à Tel-Aviv, et lui à V., découvrant des choses d'avant eux.

La mère offre sa fille en tentation et savoure le supplice.

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