TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BLUES OF TEL-AVIV

3. "Au troisième temps de la valse
Nous valsons enfin tous les trois…"

Et jour après jour, Tel-Aviv devient ma ville d'âme. Aux cheveux de la femme aimée je mélange la trame de ses rues. Elles s'installent en moi, fondues l'une à l'autre, définitives. La jeune fille que je viens de rencontrer et qui ne me quittera plus est aussi la ville. Et voilà que l'osmose ressuscite la jumelle enfouie des amours de l'enfance.

Évocation du souvenir : nous faisions la somme de nos âges, Rose Edith et moi, et cela nous faisait trente ans. Un âge à nous donner le vertige. Nous formions un triptyque d'amoureux et pourtant nous étions un couple. Comme les trois mousquetaires, nous nous étions prêté serment. "Un pour tous, tous pour un" ce n'était pas un jeu. Rien ne pouvait me convenir davantage. Elles étaient une et une répétée, si peu différentes et pourtant distinctes. Jamais je ne les ai confondues, jamais je ne les ai prises l'une pour l'autre. Elles m'en savaient gréer d'ainsi les aimer sans vouloir les séparer. Elles m'aimaient aussi pour cela : pour les réunir sans rivalité. C'est ainsi que nous avons été heureux tout le temps, simplement, autant que nous avons été. Nous nous sommes gardés toujours, nous perdant seulement de vue. Avec l'âge, il a fallu grandir.

Et pour moi, maintenant que j'ai renoué avec moi-même, la rencontre peut se produire. Elle, la colline du printemps, elle la jeune fille, les revoilà mes jumelles restées en souffrance, retrouvées dans le même souffle, le même lieu, le même temps. Quelle douceur d'un seul coup de traverser le pont sur le Yarkon qui ressoude les deux rives de ma plaie ouverte. Car tu es là, évidente et miraculeuse, sur la terrasse où je me repose le premier soir des fatigues du voyage et de la journée de travail.

La jeune fille au violon qui joue Le Cygne de Saint-Saëns et le regarde, mélange sa musique à celle de la ville qu'elle estompe. L'homme ne peut plus détacher ses yeux de la nuit qui confond maintenant la femme de pierre et la chair de la ville. Goutte-à-goutte : le mouvement de la foule qui marche encore dans les artères mime sa démarche, l'odeur qui monte des rues et des jardins devient son parfum, et les klaxons, les sonnettes, et les rumeurs, ne sont rien d'autre que le frottement de l'archet qui fait crier l'instrument. Pour lui, la ville et la jeune fille ont une même parole, une même lumière, une même chaleur, une même odeur quand il marche dans Tel-Aviv.

Il se pourrait que je guérisse.

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