TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BERCEAU

Mensonge.
M. a été le tout premier amour -tordu, de fiel et de haine confondus- que secrétait la ville-mère en me regardant grandir. En vain je le répète : elle tenait tant à moi qu'elle m'étouffait dans le réseau étroit de sa communauté. Mais je lui en ai tant fait voir aussi, que finalement le corps de la ville-mère a rejeté son greffon et je suis parti pour tenter d'être un homme.

En défiant Paris, j'ai voulu faire mon Rastignac. J'aimais la capitale, depuis longtemps ville-compagne, où je tentais d'être enfin moi-même en essayant de mettre de la distance entre mes parents, mon enfance, la communauté et moi. Mais je n'ai pas échappé aux séquelles : de M. je suis pour toujours le rejeton.

Dans mes phantasmes d'encore adolescent, je croyais que Dieu ferait pleuvoir du soufre et du feu sur ma ville maudite, je croyais qu'elle serait rayée à jamais de ma carte mémoire. C'était sans compter que dans ma fuite, j'entraînais mon père qui ne pouvait vivre sans sa maison, la maison de son père, et sans sa ville, la ville de son père. Perdu à l'idée d'aller dans une autre ville, lui qui n'avait quitté la sienne que pour partir deux fois à la guerre, il n'avait pu s'empêcher de vivre sa retraite comme la fuite de Loth devant Sodome et Gomorrhe. Nécessaire, impérative, et fatale. Je n'ai pas voulu le retenir lorsqu'il s'est retourné, je n'aurais pas pu le faire : la vie n'avait déjà plus de sel pour lui.

À M. je hurle, aujourd'hui encore : laisse-moi, laisse-moi vivre un petit peu, pas la vie mesquine et repliée que tu projetais pour moi, non, une autre, grande somptueuse riche et souriante. Lâche-moi, oui lâche-moi, et si tu ne le peux pas, efface-moi à jamais ou tue-moi. Si tu savais comme tu me dégoûtes et comme tu me manques.

Depuis M. donc, j'erre toujours à la recherche d'un amour potentiel, ville-femme confondues. La douleur première ne s'est pas estompée, elle s'est insidieusement réfugiée dans le tréfonds, et somnole. Nous luttons, nuit et jour, mais elle est toujours victorieuse et me ronge. Depuis tant d'années -il aurait dû y avoir prescription- chaque fois qu'un hasard -ou autre chose- m'amène dans une ville, je replonge dans la matrice mère et je suis aussi aux aguets, ouvert, attendant qu'enfin puisse naître un autre lien de l'amour.

Espoir.

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