TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BIGOPHONE

Ils sont maintenant dans la rue.

L'après-midi volée par la jeune fille est écoulé. Maintenant il va devoir la ramener chez ses parents, et là, sur le seuil de la porte, ils auront laissé échapper leur dernière chance. Ils se sépareront définitivement, sans s'être avoués la seule chose qui les concerne. Chacun, pour n'avoir pas tenté le premier geste, le voilà sur le point d'être condamné.

Qu'ils sont énervants ces deux, à l'évidence faits pour s'aimer et qui vont se rater parce qu'ils sont pusilanimes. Quelle désespérance de les voir sur le point de chavirer, et de voir aussi que pourtant ils se retiennent et résistent. Ils vont passer à côté l'un de l'autre ou pire, à côté d'eux-mêmes. Cet amour amorcé doit pourtant exploser, les charrier au-delà de toute retenue.

Qu'ils sont stupides, ces deux transis qui se mangent des yeux, se regardent se désirent et ne font rien. Les remparts sont encore érigés entre eux comme ceux de Jéricho et de la ville allemande divisée. Mais Dieu, lequel enfin va oser sonner des trompes guerrières pour faire s'écrouler la muraille d'enceinte. Lequel enfin va oser tenter le geste qui fera capituler l'autre. Ouvrir les portes pour la reddition est un devoir.

Ils sont maintenant dans la rue.

La nuit a recouvert la ville jusqu'à la plage et au-delà. L'horizon conserve une fragile lueur du jour qui se noie dans la mer. Ils n'ont rien vu, perdus qu'ils étaient à se contempler mutuellement. Ils n'ont rien dit, mais l'idée d'avoir à se quitter dans un moment, soudain les vide d'eux-mêmes.

Au téléphone, il cherche un prétexte pour convaincre le père de l'inviter pour la dernière nuit. Pour être encore une fois sous le même toit qu'elle, il inventerait n'importe quoi. Il ferait n’importe quoi car il ne peut pas se retrouver reh'ov Gordon, humilié de l'amour perdu pour n'avoir pas été tenté. Et il sent que maintenant, s'il ne fait rien, il sera maudit. C'est une certitude.

Alors tandis qu'il raccroche, qu'il ne peut plus reculer, il pivote, se détourne vers elle qui l'attend et fait un pas en avant. Sans doute, malgré cela, ne se serait-il rien passé si, au même moment, la discrète n'avait pas fait un pas en avant, elle aussi. Il veut expliquer ce qui vient de se passer au téléphone, elle a déjà tout compris.

Jamais encore ils ne se sont trouvés aussi proches. Ils sont enfin l'un avec l'autre concrètement et pour la première fois depuis l'après-midi. De suite amants. Il n'est plus temps d'attendre. Ils se doivent d'exprimer l'attirance éclatante qu'ils avaient retenue. D'un seul élan, les voilà jetés l'un vers l'autre. Leurs lèvres jointes ils se hument, frémissent, frissonnent, se découvrent. Et ce premier contact par les lèvres entr'ouvertes, ce sont leurs langues qui l'inventent. Leurs mains se tiennent, se font et défont pour toucher leurs visages, caresser leurs joues, leurs yeux. Ils s'apprennent enfin, dans la rue, dans la nuit maintenant enlacés à la ville, avec les passants qui passent, l'éclairage des poteaux lumineux, les phares des voitures, les néons des cafés et les spots des magasins qui palissent devant leur propre flamme. Et elle, simplement, sans gêne aucune, tout de go lui dit je t'aime. De cela, il est chaviré. Elle aussi, elle sent que ça tangue, le lui dit, s'accroche à son cou. Ils sont serrés l'un contre l'autre, statue en pied, puis à genoux sur l'asphalte, en prière, en corps joints. Elle dit je t'aime, encore, encore. Elle le dit et le redit. Il est saoul, saoul simplement de ces mots qu'il entend pour la première fois et qui le ravissent, l'animent, le rendent enfin vivant. Mon Dieu, déjà cet amour c'est le déchirement.

Jamais ils ne seront plus proches qu'au moment de leur premier naufrage

À quarante ans c'est une jeune fille qui l'accouche.

Deux assimonim et un peu de terre ramassée témoignent que je n'ai pas rêvé.

INDÉNIABLE BOULEVERSEMENT DU DÉBUT
DEBOUT SUR LEURS JAMBES ILS S'EMBRASSENT

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