TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BRAISES

Enfin de l'air.

Les premières lueurs du jour pointent sur la ville après le désastre, l'aurore du silence fait suite à la tempête nocturne, les vestiges de l'ouragan sont là : antennes pliées, poteaux arrachés, toitures percées, voitures renversées, ferrailles planches tuiles éparpillées dans les rues.

Les amants émergent lentement du néant de la nuit. Les corps savourent la tiédeur nouée des draps. Le ciel chargé de la veille est lavé, lumineux éclatant. Matin calme.

Il a lutté pour ne pas s'endormir mais il s'est assoupi malgré lui. Par intermittence. Ne pas m'éloigner de toi, ne pas te quitter dans mon sommeil. Je ne veux pas. Rester éveillé, avoir conscience de toi avec moi, sentir notre peau, notre poids, notre parfum odeur. Et pourtant, il a fallu qu'il la laisse. Perdre conscience, conscience d'elle. Vos nuits sont comptées, dormir est un crime. Et, de l'avoir désapprise ne serait-ce qu'un instant, à son corps défendant pourtant, il s'en veut

Il émerge. Première seconde, le poids de chaque matin, non, il n'en veut pas. Mais simultanément il sent sa présence. Elle est là, et c'est tout qui change. À cause de son contact le voilà rassuré. Elle est là, et c'est autour de son sexe qu'il sent le mieux sa présence. Il se dit qu'il n'a pas cessé d'être en elle toute la nuit. Si même dans son sommeil son corps ne l'a pas quittée, il ne la quittera plus, parce qu'elle a su le garder ainsi jusqu'au matin. Elle fait un mouvement, il a peur de seulement remuer les doigts. Elle se réveillerait, le charme serait rompu. Il garde les yeux fermés.

Elle émerge. Première seconde, elle a peur. Et si l'homme, repu de sa chair, avait cessé de l'aimer ? Et si sa mère avait raison de répéter que les garçons cherchent seulement à coucher avec les filles ? Elle ouvre les yeux, le regarde. Celui qui dort, comme elle l'aime. Et puis, il sourit du plaisir de la nuit. Les paroles de la mère ne comptent plus, ni la peur transmise qui se prend pour de l'éducation. Elle ne peut pas se tromper. Son plaisir elle l'a éprouvé, elle le sait, mieux, elle le sent encore, à la rigidité du sexe qu'elle a gardé toute la nuit en elle. Si même dans son sommeil, il ne l'a pas quittée, il ne la quittera plus parce qu'elle a su le retenir ainsi jusqu'au matin. Elle voudrait le réveiller ainsi, en resserrant une fois encore la coupe où, cette nuit, il a posé ses lèvres si longtemps qu'elle referme les yeux pour le revivre. Alors elle sent rejaillir la vie du vit qui est en elle et qui s'est épanché en même temps qu'elle l'aspirait. Se laisser faire. Ne plus exister qu'aux seuls lieux où ils se touchent et qu'ils se révèlent. Fais-toi connaître à moi, apprends-moi qui tu es. Car c'est en me donnant que je veux te recevoir. Et cette prière muette, adressée à son corps, que c'est lourd. Mais ce n'est pas de la pesanteur, c'est de la chaleur.

Il a soif. Il sait qu'elle le regarde, sourit, ouvre les yeux, émerveillé. Son amour réel vivant. Le temps compté qui ne le quitte jamais est l'ingrédient fatal. Car tout ça n'est plus rien, à l'instant même où il la sent resserrer les lèvres de son sexe autour de lui. Il n'est que cet instant-là, volé arraché extorqué. La laisser faire ne plus exister qu'aux seuls lieux où ils se touchent et qu'ils se révèlent. Fais-toi connaître à moi, apprends-moi qui tu es. Car c'est en me donnant que je veux te recevoir. Et cette prière muette, adressée à son corps, que c'est lourd. Mais ce n'est pas de la pesanteur, c'est de l'ardeur.

Elle écarte de la main la masse de cheveux qui couvre à moitié son visage, caresse doucement le dessus de son crâne, à la calvitie naissante, et ce geste finit de le réveiller. Elle se place au-dessus de lui. La lumière se reflète sur son visage. Non, elle ne vient pas de la fenêtre aux rideaux entr'ouverts sur la naissance du jour, elle sourd de sa peau, se répand sur lui qu'elle illumine, s'offre par la fissure des lèvres offertes d'où s'échappe un souffle de rosée.

Il écarte de la main la masse de cheveux qui couvre à moitié son visage, passe les doigts dans l'épaisseur de sa crinière et ce geste finit de la réveiller. Il voit ses yeux qui le regardent et contiennent la lumière. Il reçoit, goutte à goutte, l'eau qui s'échappe de ses lèvres jusques aux siennes. Elle le désaltère. Et cette fraîcheur, c'est l'eau qui coule à l'évier de pierre de ta cuisine, Tata Lutz ma mère d'adoption. Et cette fraîcheur c'est ta langue, tes dents et ton palais, et cette cavité-là.

Elle le regarde encore, mon illuminé ma lumière, et elle a soif. L'eau, dont elle a humecté ses lèvres de la carafe toujours posée à la tête du lit, elle la fait couler goutte à goutte sur les siennes pour le désaltérer. Et cette fraîcheur, c'est la fontaine qui coule au fond de ta cour où criaillent des oiseaux. Et cette fraîcheur, c'est une autre de leurs sécrétions. Ta langue, tes dents et ton palais, et cette cavité-là.

Ils ne se quitteront plus, puisqu'ils ont su se garder jusqu'au matin, et le calme de l'aurore, la lumière dont ils sont le phare, est leur matin repos.

Répit.

BOIRE BAISERS BRANDON

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