TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BIDOUK DIBOUK

À tout juste cent ans, ma ville est une jeune fille qui n'a pas une seule ride. Pourtant, dans ses édifices modernes, ses maisons ravalées, ses quartiers restaurés, je ne vois que la façade liftée d'une vieille femme qui refuse son âge. D'opération en opération, Tel-Aviv a maintenant, comme ses pareilles, les mêmes rues piétonnes au pavage commun aux musiques pour touristes aux magasins franchisés qui n'ont aucune singularité. Vaincue par la fascination des tours, relookée par les architectes, elle a vendu son âme. J'ai dégusté pourtant, en notre temps, son corps lézardé, ses commerces claudicants qui menaçaient de s'effondrer, ses cafés de guingois, ses magasins en train de disparaître. Je n'ai pas pu empêcher mon inspiratrice de se faire refaire le nez. Elle y rêvait depuis longtemps, se trouvant laide, parce qu'elle voyait dans son miroir le visage de son père. Ce nouveau nez, sans mon consentement, m'a infligé le désamour. J'ai aimé, telle qu'elle, la jeune fille que tout le monde trouvait trop jeune pour moi. J'ai aimé en même temps le visage dévasté de la ville. Je n'ai rien pu faire pour les retenir.

À la fin d'encore vingt ans, mon amour pour Tel-Aviv me fait apparaître la jeune fille comme figée, pétrifiée, en état de sidération dans mon travail. Définitivement instantanée. Mais d'autres, connus et inconnus, l'ont reprise et aimée à leur façon. Nos voix se font écho dans la solitude de la peinture, de l'écriture et de la photographie.

Celle que j'ai connue n'est plus, mais différente elle séduit de nouveaux amants. J'appartiens seulement à un soupir de sa vie.

Note. Minuscule.

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