TOI ÉCRITE
Blason du corps de la femme.

BALSAMIER 3

Ma mère, Soir de Paris, parfum capiteux de dame.

Elle conservait pieusement le premier flacon que mon père lui avait offert. A force de n'en user qu'avec la plus grande parcimonie, le liquide s'était concentré en huile, solidifié en graisse. Le verre s'était teinté d'une lie sirupeuse d'or. Quarante ans plus tard, le coffret d'origine laissait encore échapper son haleine sucrée. Cette relique était enchâssée dans un tiroir de la commode où traînaient aussi des gants et le foulard de soie hérité de la mère de ma mère dont elle se couvrait la tête pour allumer les lumières du vendredi soir. L'odeur du cuir en plus. Mélange talisman. Le fils venait respirer, dans le tiroir de la commode, le parfum positif de la mère qui d'ordinaire trône sur son seau hygiénique. Il la lavait, la nettoyait, la dépouillait de son odeur de putréfaction. Il la reconstruisait en l'inondant dans ses rêves. Le voilà rescucité par cette onction extrême.

La mère devient une élégante, porte chapeau gants et sac à main. Sa montre suisse en or, son camée, son collier quatre tours. La voilà comme ses amies, femme du monde, fumant des cigarettes fines, lèvres peintes, ongles rouges, me serrant contre elle.

Et je peux enfin m'enivrer de ton odeur, femme parmi les femmes. Je peux enfin être un enfant et donc devenir un homme.

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